• Hélène Jégado. Une vraie poison !

     

    Hélène Jégado, arrêtée après avoir empoisonné à l'arsenic ceux qui la critiquaient ou trouvaient qu'elle buvait et sentait mauvais !

     

    Le 26 février 1852, Hélène Jégado est guillotinée à Rennes, au terme d'un procès retentissant.

     

    Cette criminelle avait, en effet, sévi pendant 18 ans. Hélène Jégado naît le 17 juin 1803, au hameau de Kerordevin en Plouhinec, près de Lorient. En 1810, à la mort de sa mère, elle est confiée à ses tantes qui sont servantes du recteur de Bubry. Un an plus tard, toujours sous la férule d'une de ses tantes, elle déménage au presbytère de Séglien où elle apprend le métier de cuisinière. Jusqu'à ses 30 ans, elle mène une vie sans histoires dans cette paroisse, travaillant toujours comme domestique pour le curé. C'est alors que, en 1833, l'abbé Connan la renvoie au motif qu'elle boit trop.


    Hécatombe à Guern

    Elle trouve alors à se placer chez l'abbé Le Drogo, recteur de Guern. Celui-ci ne tarde pas à lui faire aussi des reproches sur son intempérance. Mais, le 20 juin, le père de l'abbé, qui vit au presbytère, tombe malade. Il souffre de coliques et de vomissements. Le 28, il expire. Frappée des mêmes symptômes, la mère de l'abbé décède le 5 juillet. Le 17 juillet, c'est au tour de la nièce du curé, âgée de 7 ans, de succomber; le 23 août, Marguerite André, une autre servante du presbytère succombe; le 28 septembre, l'abbé Le Drogo disparaît; le 2 octobre, Françoise Auffret, elle aussi domestique du recteur, décède; enfin, le 3 octobre, la propre sœur d'Hélène Jégado, Anna, venue à Séglien pour assister à l'enterrement de l'abbé, meurt à son tour. Curieusement, le médecin du village pense qu'il s'agit d'une épidémie de choléra et n'en parle à personne. Hélène Jégado se rend à Bubry pour remplacer sa sœur, Anna, qui était servante au presbytère. A nouveau, plusieurs personnes tombent malades. La tante du recteur décède rapidement. Puis, c'est au tour de la sœur et de la nièce du prêtre de succomber. Le curé n'est pas épargné et tombe gravement malade. Hélène, qui reste bien portante, se dévoue au chevet des malades. A chaque décès, pourtant, elle lance un énigmatique : «Ce ne sera pas le dernier». Hélène Jégado continue ses pérégrinations. Elle trouve rapidement de l'embauche au bourg de Locminé, comme apprentie couturière chez une veuve, Jeanne-Marie Leboucher.

    Des livres de prières lacérés

    Quelques semaines plus tard, celle-ci commence à souffrir de vomissements et décède en décembre 1834, rejointe en janvier par sa fille, Perrine, qui n'a que 15 ans. Entre-temps, le mystérieux mal a fait une nouvelle victime, une cafetière de Locminé, la veuve Lorcey. Ensuite, le malheur ne va pas tarder à frapper une nouvelle famille, les Toussaint, chez laquelle Hélène Jégado a trouvé une place de cuisinière en mai 1835. En quelques mois, on déplore quatre morts dans la maison. On retrouve la Jégado dans un couvent d'Auray où elle semble se mettre «au vert». Puis, soudain, le couvent devient le théâtre de drôles d'événements : des pages de livres de prières sont déchirées, du linge et des livres sont lacérés par une main inconnue. Loin d'y voir une intervention surnaturelle, la mère supérieure mène une rapide enquête et s'aperçoit que les jeunes novices sont terrifiées par une domestique récemment arrivée, Hélène Jégado. Celle-ci est alors placée sous surveillance et elle ne tarde pas à être surprise en flagrant délit, alors qu'elle s'apprête à verser de l'eau sale dans un harmonium. La fautive est aussitôt expulsée. Malgré le scandale, Hélène Jégado ne quitte pourtant pas Auray. En octobre 1835, elle est embauchée comme couturière chez Anna Le Corvec, âgée de 70 ans. Le 5 décembre, cette dernière décède après avoir abondamment vomi. L'épisode ne passe pas inaperçu et la Jégado commence à traîner une réputation de sorcière et d'empoisonneuse. Elle quitte la ville pour Pontivy et arrive, le 3 mars, chez Pierre-François Jouanno, le maire de la commune. Cinq jours plus tard, le fils de la maison, âgé de 14 ans, décède après avoir, lui aussi, vomi et s'être plaint de maux de ventre.


    Elle sévit à Rennes

    Pendant plusieurs années, Hélène Jégado continue ainsi son errance dans le Morbihan. Puis, en 1849, elle arrive à Rennes où elle trouve une place dans la famille Rabot. Albert, le jeune fils de la maison, se plaint de la mauvaise odeur de la nouvelle servante. Il meurt le 29 décembre. Accusée d'avoir volé deux douzaines de bouteilles de bourgogne, Hélène Jégado est renvoyée. La domestique est alors embauchée dans la famille Ozanne. On ne tarde pas à lui reprocher sa grossièreté et de dérober de l'eau-de-vie. La cuisinière prend mal le reproche. Le 14 avril 1850, un des jeunes enfants de la maison succombe. Quelques semaines plus tard, Hélène Jégado travaille à «L'auberge du bout du monde». Les clients se plaignent de cette vieille cuisinière qui est sale et sent l'alcool et le tabac. La propriétaire, madame Roussel, la surveille de près et cherche à la remplacer. Mais, le 18 juin, elle tombe malade, vomissant et souffrant de paralysie des membres. Après plusieurs jours, son état est si grave qu'elle ne peut plus rien avaler. C'est ce qui va la sauver, malgré des séquelles. Une chance que n'aura pas Pierrote, la principale servante de l'auberge, qui décède à la fin août. Hélène Jégado ira ainsi de place en place semant la mort dès qu'on lui fait une remarque qui lui déplait. Mais le 1 e r juillet 1851, la mort d'une autre servante, Rosalie Sarrazin, intrigue sérieusement les médecins qui alertent le procureur de la République. Lorsque les enquêteurs arrivent chez le dernier employeur d'Hélène, ils se font ouvrir la porte par une vieille femme qui s'écrit aussitôt : «Je suis innocente». La Jégado vient de faire une erreur fatale qui met aussitôt les enquêteurs sur sa piste. Le 2 juillet, une autopsie conclut à l'empoisonnement à l'arsenic de Rosalie Sarrazin. Le parquet décide alors d'exhumer les corps de la servante Rose et de Pierrotte Macé, l'employée de «L'auberge du bout du monde». Première surprise, après plusieurs mois en terre, les corps sont intacts, ce qui est un signe de présence d'arsenic. Les autopsies concluront d'ailleurs à une intoxication par ce produit.


    Une « anomalie de la nature »

    Le dossier d'accusation est volumineux et bien ficelé lorsqu'Hélène Jégado se présente à son procès, à Rennes, le 6 décembre 1851. La tâche de la défense est donc loin d'être aisée. Qualifiant sa cliente d'«anomalie de la nature dépassant l'entendement», le jeune avocat qui la défend, Magloire Dorange, plaide pour une peine de prison à vie. Le 14 décembre, les jurés la condamnent à la peine capitale. Le 26 février 1852, elle assiste à 4 h 15 à une dernière messe. Deux heures plus tard, on lui fait sa toilette puis elle est conduite vers le Champ de Mars où a été dressé l'échafaud. Sur le trajet, la foule reste silencieuse en la regardant passer. A 7 h 30, la guillotine tombe, mettant un terme à la vie de l'empoisonneuse la plus redoutable de l'histoire de Bretagne.

    Article paru dans Le Télégramme de Brest publié le 09 novembre 2003


      

      


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    Métiers anciens

     

    Lors de nos recherches il est fréquent de trouver des ancêtres pratiquant des métiers qui nous sont inconnus : blattineur, mégissier, tensier de police, garde magasin... En fonction des époques ou des régions les termes pouvaient varier.

    Sous l'Ancien Régime, ces métiers étaient organisés en communautés. Des Corporations, des Jurandes, des Syndics, des Confréries regroupaient les artisans, les marchands, les artistes. Ils étaient soit :

    • Apprentis
    • Compagnons ou maîtres
    • Gardes ou jurés élus par les maîtres ou désignés par la jurande pour administrer la communauté de métier.

    Les métiers sous l'ancien régime étaient régis par des édits royaux ou arrêts du Conseil qui en fixaient les règles fiscales et administratives. En fonction de ceux-ci vous pourrez consulter des archives municipales, départementales ou nationales qui vous permettront d'en connaître plus sur le métier de vos ancêtres, d'apprendre s'ils ont fait une formation particulière, ont obtenu tels ou tels diplômes, ont payé une quittance, ont participé à une communauté.

     

    Dictionnaire des métiers

    Pour vous permettre de savoir à quels métiers se référait celui que vous avez trouvé dans des actes, n'hésitez pas à compulser le dictionnaire ci-dessous. Les métiers y sont classés par ordre alphabétique :

     

     

    Métiers anciens  

     

    A - B - C - D - E - F - G - H - I - J - K - L - M - N - O - P - Q - R - S - T - U - V - W - X - Y - Z 

     

    Si vous ne trouvez pas la réponse à votre question, n'hésitez pas à consulter les sites mentionnés dans la rubrique « liens utiles » de cette page ou à consulter l'un des ouvrages mentionnés dans la bibliographie ci-dessous.

     

     Termes généraux :

     Confrérie : compagnie de personnes associées pour quelques exercices de piété.

    Corporation : désignait une association formée de plusieurs personnes astreintes à de certaines obligations relativement à leur profession et jouissant de certains privilèges.

    Jurande : dans les anciennes corporations de métiers, charge de juré ou temps pendant lequel on l'exerçait.

    Semaine : travail et paiement des ouvriers dans une semaine.

    Syndic : celui qui est élu pour prendre soin des affaires d'une Communauté, d'un Corps dont il est membre.

     

    Fiches métiers :

     

    Travail du tissu 

     

     

    Agriculture 

     

    Autre 

     

    Bibliographie

     

     

    Voir aussi

     

     

    Liens utiles (externes)

     


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  • Les premiers jours d’un bébé né sous X


    Ce sont des enfants qui n’ont pas été désirés. A l’hôpital, des aides-soignantes et des infirmières leur offrent leurs seuls moments d’attention. Des gestes agiles. Des mots. Quels regards ? A quoi ressemblent les premiers jours d’un bébé seul ? Quels soins leur apporte-t-on pour panser cette blessure originelle ?

    Dans les allées de la maternité de l’hôpital Bichat-Claude-Bernard, les blouses blanches entament leur ballet quotidien. Hier soir, derrière ces murs, une femme a accouché anonymement. C’est la troisième naissance sous X cette année dans cet établissement parisien. Chaque année en France, entre 600 et 700 femmes, âgées en moyenne de 26 ans (source : Ined), accouchent dans le secret de leur identité et confient leur enfant à l’adoption.

    Depuis plus de douze heures, l’équipe de la maternité a déclenché la procédure légale visant à préserver le secret autour de cette naissance, veiller sur la mère et organiser le futur proche de l’enfant. L’assistante sociale de l’hôpital s’est mise en relation avec les services de l’adoption (Paris Adoption). Le nom de la patiente n’apparaît pas dans les archives de l’hôpital, et l’identité du bébé se limite à un prénom.

    Autant vous prévenir : vous ne connaîtrez ni le sexe ni le prénom de cet enfant dont nous vous racontons les premiers jours. Sachez seulement que sa mère de naissance a choisi de le prendre sur son ventre et de le nommer de trois prénoms. « Chez nous, explique Maele Le Goff Gauthier, de l’unité de gynécologie-obstétrique du CHU de Nantes, quand la mère ne nomme pas l’enfant, c’est la sage-femme qui lui donne son premier prénom, l’équipe de néonatalogie choisit le deuxième, et la cadre de néonatalogie, le troisième, qui sera son patronyme enregistré à l’état civil jusqu’à l’adoption. » A Paris, la jeune femme de Bichat, majeure, n’a jamais été mère. Sa grossesse a été diagnostiquée après un long déni, trop tard pour envisager une IVG. Quand le père biologique l’a appris, il a quitté la ville où ils vivaient – pas ensemble, elle habite toujours chez sa mère.

    S'investir ou pas ?

    Je monte en néonatalogie, où le bébé a été transféré alors que sa mère est hospitalisée dans l’aile opposée. A l’heure où chacun court, aspiré par des tâches, comment ne pas songer au destin de ce nouveau-né abandonné par l’être sur lequel la biologie lui dit de compter. Au début de sa carrière, Stéphanie, auxiliaire de puériculture à Nantes, était en colère :

    Il y a la contraception, l’IVG… Quand on ne veut pas d’un enfant, on peut ne pas en avoir. Puis elle a appris à comprendre. Une mère qui prend cette décision ne peut vraiment pas faire autrement. Et c’est très courageux.

    Pour Catherine Kerforn, sage-femme responsable de l’unité de gynécologie-obstétrique médico-psychosociale du CHU, « ces bébés bouleversent les valeurs des soignants, de la société ». Le pouvoir de la mère biologique sur le devenir de son enfant est impitoyable.

    Elle a soixante-douze heures de réflexion, à l’issue desquelles il devra être déclaré à l’état civil et rompre la filiation. Il sera alors « né de X » et, avec son consentement, confié à l’adoption. La loi garantit toutefois un délai de rétractation de deux mois. Le bébé est né depuis douze heures. Séparé de sa mère, il dort dans un berceau calé contre la porte, à l’entrée du poste de soins. Son statut n’est pas défini.

    Dans tous les services de néonatalogie, c’est le berceau qu’on déplace quand il n’y a pas assez de lits, regrette Delphine Delachaussée puéricultrice cadre de l’unité de néonatalogie de Bichat.

    Le service compte cinq chambres de deux berceaux occupés de lui. Comment se blinder face à l’injustice que vivent ces enfants ? « Je me répète que ce chagrin ne m’appartient pas, confie Delphine Delachaussée. Et j’ai vu des collègues s’investir énormément. OK, il n’a pas été désiré pendant neuf mois. Mais il y a quelque part des parents adoptifs qui le désirent depuis très longtemps, il sera chéri le reste de sa vie. Est-il plus malheureux qu’un enfant qui naît dans une famille où les parents se tapent dessus ? Je suis affectée par ces enfants, mais demander, dans le but de protéger, le placement en pouponnière d’un enfant reconnu par une mère qui ne peut pas le prendre en charge, c’est encore plus triste. Car l’enfant placé ne sera jamais adoptable. »

    Pour l’instant, Bébé X est dans cette zone grise où il n’a pas sa place. Sa mère, hospitalisée à cinq minutes de son berceau, n’est pas loin ; pour lui elle est manquante. Agnès Emion-Lepy, la psychologue référente, vient de rencontrer la jeune femme. « Sa famille était là, mais c’est Madame qui s’est exprimée, posée, contrôlée… on sent l’émotion. Elle semble au clair dans sa décision, elle connaît les procédures, s’inquiète de la santé du bébé. Elle veut signer le procès-verbal demain. Et voir son enfant plus tard dans la journée. »

    L’après-midi, alors qu’une travailleuse sociale de Paris Adoption vient lui expliquer la procédure, les membres de la famille sont présents. L’un d’eux pose des questions : la grand-mère peut-elle adopter l’enfant ? A 19 heures, la principale intéressée n’a toujours pas signé le procès-verbal. Demain, la psychologue sera absente, mais elle a laissé son numéro à la jeune femme. « Ça se complique. La famille cherche le père biologique.»

    A 19 h 30, Lisa conduit le bébé à travers les couloirs de la maternité. Le lendemain, elle décrit la scène : « Les membres de la famille étaient là ; la mère, endormie, semblait absente. Quand je suis revenue chercher le bébé, j’ai compris que la famille avait donné le biberon. » Quel sens à cet accouchement dans le secret qui convoque un conseil de famille ?

    Un doudou dans le berceau

    Pour Catherine Kerforn, toute naissance sous X est un projet de vie singulier : « Certaines familles partagent le secret. S’il y a conflit, c’est préjudiciable à l’enfant. Mais quand la famille adhère, l’enfant est inscrit dans une continuité de prise en charge. » A Bichat, la famille influe-t-elle sur la décision de la mère ? Celle-ci a confié à l’assistante sociale que « Si son conjoint n’avait pas fui, ils auraient pu garder le bébé ».

    Selon l’étude de l’Ined, le géniteur joue un rôle essentiel dans la décision des femmes : son absence ou son comportement sont les motivations les plus fréquentes (43 %). Viennent ensuite les difficultés financières, l’âge, la crainte du rejet familial, des traumatismes récents ou anciens.

    Le bébé n’a aucune idée de ce qui se trame. « Il n’a pas de doudou, ce petit ! Où est Laetitia ? » Les puéricultrices cherchent Laetitia de Lorgeril, qui a les clés du « vestiaire ». Cette cadre infirmière a monté le projet Maternité solidaire, collectant vêtements et articles de puériculture pour en doter les enfants démunis. Quelques heures plus tard, un doudou est dans le berceau. Apporté par la famille.

    Les sentiments des soignants

    A 20 heures, Lisa passe le relais aux deux puéricultrices de garde de nuit. Avant de partir, elle relate la journée dans le « cahier de vie » qui suivra l’enfant jusqu’à son adoption. Toutes les maternités offrent désormais aux bébés X ce cahier, égayé de photos de son séjour et de commentaires, seule mémoire de ses premiers jours. La sage-femme qui a accouché ce bébé a laissé un mot : Je m’appelle A. Je t’ai examiné(e). Tu pesais X kg… Ta naissance fut très émouvante pour ta maman et pour moi aussi.

    Il est 15 heures, la mère, accompagnée de la représentante de Paris Adoption, vient dire au revoir à son enfant.

    Nous n’avons pas le droit d’être là, Lisa nous fait le récit de ces adieux dans un couloir, à l’entrée du poste de soins. La famille, qui voulait venir, s’est abstenue. La jeune femme, qui a accepté de prendre le bébé dans ses bras, pleure. « Vous voulez le changer ? — Je peux ? » La travailleuse sociale presse la jeune femme : Vous devez lui dire au revoir maintenant, madame, c’est important qu’il l’entende.

    Elle n’y parviendra pas. « Dans cette histoire, tout s’est fait dans le mauvais sens, déplore Delphine Delachaussée. Nous devons à tout prix éviter de renvoyer à ces femmes ce statut de mère dont elles ne veulent pas. Refuser d’être mère est un droit que la loi leur accorde. »

    Dans une autre maternité parisienne, aux Bluets, la psychanalyste Julianna Vamos ne permet pas l’interaction entre mère et enfant : ni peau à peau, ni biberon, ni change, ni bras. Brutal ? « Cette brutalité est préparée et travaillée avec les mères que j’accompagne en prénatal, une fois qu’elles ont pris leur décision. Les gestes en salle d’accouchement et en suite de couche doivent respecter la logique du non attachement. S’il y a attachement, l’enfant se sentira abandonné. Lui faire sentir l’odeur de sa mère, c’est lui donner un faux espoir. Les deux mois de rétractation servent à ça, à permettre à la femme d’élaborer sa décision. »

    Julianna Vamos accompagne la mère quand elle manifeste le désir de voir son enfant, afin de l’aider à assumer sa décision et d’envoyer un message clair au bébé. Et elle s’adresse aussi à l’enfant : Ta mère est venue te voir et te dire adieu. Vous allez avoir deux chemins séparés, mais elle te propose le mieux qu’elle puisse te donner.

    A Bichat, la mère de Bébé X quitte la maternité. L’enfant va passer sa troisième nuit seul, serré par d’autres bras.

    C’est le week-end, l’atmosphère du service est plus calme. Dans le cahier de vie, la puéricultrice de la veille a noté : Cette nuit, tu as beaucoup demandé les bras.

    Derrière la bienveillance des soignants, professionnel et émotionnel se chevauchent. Comment qualifier ces soins que Lisa, Françoise et les autres donnent à cet enfant ? L’amour porté à ces bébés est la grande question qui plane depuis que nous avons pénétré dans ce service. « On ne pose jamais ce mot parce qu’on est professionnel, confie une auxiliaire. Mais, oui, c’est un sentiment de cet ordre-là. » Il y a cependant une limite infranchissable, les bisous.

    On est là pour les sécuriser, les rassurer affirme Françoise, c’est notre travail. « La douceur précise de ses gestes quand elle manipule l’enfant est impressionnante. Mais ses mains qui le massent après son bain ne sont pas celles d’une mère, elle le sait. « Parfois on a la larme à l’œil, reconnaît-elle. Je me souviens d’un petit loulou resté longtemps dans le service. C’était l’été, il n’y avait pas de place en pouponnière. Il était là, coincé entre quatre murs, on avait toutes envie de le prendre chez nous en attendant. Chez moi il y a des enfants, un chat… de la vie, quoi. La psy nous a dit que ce n’était pas une bonne idée. »

    Coup de théâtre

    Le lundi matin, l’équipe est informée qu’une place en pouponnière est disponible. Coup de théâtre, la mère et le père se présentent à l’hôpital : ils souhaitent récupérer leur enfant. Ils font jouer leur droit à se rétracter dans le délai de deux mois. (Selon l’étude de l’Ined, 14 % des mères reviennent sur leur décision.) L’état civil de l’enfant, enregistré par l’hôpital il y a deux jours, est encore modifiable.

    Le nouveau document officiel portera toujours la trace de l’abandon initial. L’enfant n’est pas déclaré « né de » mais « reconnu par » Madame et Monsieur… Son cahier de vie a disparu, peut-être un soignant a-t-il souhaité effacer cet épisode de l’existence de l’enfant. A l’issue de ces cinq jours émotionnellement intenses, on a envie de se réjouir. De penser que la place de ce bébé est près de sa mère biologique. Le secret qui entoure sa naissance a volé en éclats. Mais ses parents ne pourront jamais lui cacher qu’aux premiers jours de sa vie ils n’ont pas voulu de lui. Il reste un enfant né sous X.

    La mère a été ré-hospitalisée avec son enfant afin de construire le lien maternel explique Eglantine Koné. L’enfant pourra-t-il dépasser le rejet initial ? « Faire vivre au bébé l’ambivalence maternelle est ce qu’il faut à tout prix éviter dans les accouchements sous X », prévient Julianna Vamos. D’où l’importance, selon elle, d’éviter tout attachement à la naissance. « Elles ont deux mois après leur décision pour élaborer leur projet de vie, se rétracter et récupérer leur enfant, ou le confier définitivement à l’adoption. La blessure psychique est indéniable. Mais vivre un moment difficile et vivre un traumatisme, c’est très différent. »

    Alors que le bébé X de Bichat a trouvé une famille, la sienne, ces mots de Donald Winnicott, pédiatre et psychanalyste, résonnent en moi : La vie est en elle-même une thérapie qui a un sens.

    L’accès aux origines

    Lorsqu’une femme accouche sous X et souhaite confier son enfant à l’adoption, une procédure administrative est déclenchée. Agissant en qualité de représentant du Conseil national de l’accès aux origines personnelles, un travailleur social informe la mère de ses droits, tout en soulignant l’importance pour l’enfant de connaître ses origines.

    Il « collecte les données » fournies par la mère, avant de l’inviter à laisser son identité sous pli fermé. Celle-ci peut refuser. Si elle écrit une lettre ou laisse un objet pour l’enfant, ces éléments lui seront remis s’il le demande – à partir de ses 13 ans, en présence de ses parents adoptifs ; à partir de 18 ans, seul. L’identité de sa génitrice ne pourra lui être communiquée sans l’accord de celle-ci. Après la collecte des données, un procès-verbal (PV) est établi, actant la décision de confier l’enfant à l’adoption. L’enfant, pupille de l’Etat, est ensuite placé en pouponnière ou en famille d’accueil.

    Article paru dans Absolu Féminin


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