• NotreFamille perd en appel contre le département de la Vienne

     
    La société NotreFamille.com était bien placée pour l'emporter, comme l'avait titré « La Revue française de Généalogie » dans un précédent article, écrit sur la foi des conclusions du rapporteur public. Mais bien placée, cela ne voulait pas dire l'emporter ! Et le tribunal a rendu une décision exactement inverse... NotreFamille.com a finalement été déboutée de son action contre les archives de la Vienne au nom du droit du propriétaire d'une base de données. Les archives numériques de la Vienne restent donc dans la Vienne...
    C'est compliqué ? Alors refaisons ensemble le film. Il se joue depuis plusieurs années une bataille devant les tribunaux entamée par le portail commercial NotreFamille.com. L'enjeu est de taille : obtenir de chaque service d'archives départementales le droit de réutiliser ses fonds d'intérêt généalogique. C'est à dire de se faire communiquer les images numériques, principalement de l'état civil ancien et des recensements. Le but est de faire indexer dans chaque département l'intégralité de ces sources généalogiques pour aboutir à une solution simple. Vous tapez un nom dans le moteur de recherche du portail Genealogie.com (édité par NotreFamille.com) et vous obtenez en un clic l'accès aux images du registre d'état civil de la naissance de cet individu, de son mariage ou de son décès ou bien vous arrivez directement à la bonne page du recensement concernant son foyer.
    Voilà de quoi s'épargner de longues heures de recherche dans les registres numériques. Mais cette facilité a une contre-partie : il faut être abonné au portail Genealogie.com. Les autres peuvent toujours accéder gratuitement aux images non indexées, restant disponibles sur le site des archives départementales. Mais les archivistes ne l'ont pas toujours entendu de cette oreille et certains ont refusé les demandes de "réutilisation commerciales". D'où le marathon judiciaire entamé par NotreFamille.com pour faire valoir ses arguments. NotreFamille.com a obtenu ainsi de haute lutte les images "généalogiques" du Rhône et celles de trois autres départements : la Vendée, la Savoie et les Yvelines dont certaines sont déjà indexées et disponibles pour les abonnés du site.
    Mais voilà, la décision rendue en appel le 26 février 2015 est le premier grain de sable qui vient gripper cette machine. La cour administrative d'appel de Bordeaux reconnait le droit aux archives de la Vienne de fixer les conditions de la réutilisation, voire de l'interdire, s'il s'agit d'une base de données. Or les juges considèrent que les archives de la Vienne sont bien producteurs d'une base de données, celle constituée par les images de l'état civil et leur classement par date et par commune. Et ils accordent aux archivistes de la Vienne le droit de céder leurs fichiers aux seuls "réutilisateurs" agissant dans le cadre d'une mission de service public. Ce que contestait NotreFamille.com qui n'a pas de mission de service public.
    Interrogé, Emmanuel Condamine, directeur généalogie de NotreFamille.com, dit "regretter cette décision que nous ne comprenons absolument pas. Ce jugement vient contredire un ensemble qui avait fini par établir une certaine jurisprudence sur ce sujet. Nous avons obtenu environ 70 avis favorables de la CADA, des décisions des tribunaux administratifs de la Marne, de l'Essonne, du Puy-de-Dôme, des cours administratives d'appel de Nancy et Lyon. Où est la logique ?" Pour le représentant du portail généalogique, le jugement de Bordeaux apporte même "de la confusion, car il est contraire à la transposition à venir du droit européen qui intègre les données culturelles dans le régime général et il fait également peser un risque sur l'opendata". La société NotreFamille.com n'a pas encore décidé si elle donnerait une suite judiciaire (la seule option étant un recours en conseil d'Etat).
    Que va changer ce jugement de la cour administrative de Bordeaux ? Beaucoup de services d'archives départementales étaient dans l'attente d'une vision claire sur ce point de droit assez complexe ressortissant à la fois du droit français (lois CNIL et CADA) et de la transcription d'une directive européenne. Mais ce jugement est t-il vraiment éclairant ou plutôt ne met-il pas en exergue les difficultés d'interprétation des textes avec des décisions allant tantôt dans un sens, tantôt dans l'autre ? A l'heure où le gouvernement prône l'open-data, une clarification juridique s'impose dans la future loi sur le patrimoine, promise cette année. Cela pour résoudre une question de fond : veut-on autoriser ou non la réutilisation commerciale des données produites par les services culturels ?


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