• Ces ouvrières bretonnes qui n'ont rien lâché

    Retour sur la lutte des Penn Sardin

     Un rare moment à l’air libre pour les Penn Sardin : elles déposent les poissons dehors entre deux grilles métalliques. Une fois séchés au soleil, ils seront mis en boîte. © akg-images

     

    A Douarnenez, au début du XXème siècle, ces ouvrières sous-payées travaillent dans des conditions misérables dans des usines de sardines. Elles feront grève par deux fois malgré les intimidations. Mais les Bretonnes n’ont rien lâché.

    Une main poisseuse se saisit d’une sardine, lui tranche la tête, l’évide, la trempe dans la saumure, la frit dans l’huile et la met en boîte dans des conserves en fer-blanc. A Douarnenez, au tournant du XXème siècle, cette scène se répète à la chaîne, chaque jour, à l’intérieur d’usines appelées conserveries. Quarante millions de boîtes de sardines y sont produites rien que sur l’année 1900. Pour assurer une telle cadence, il faut une main-d’œuvre importante, habile… et malléable. Une dizaine de milliers d’ouvriers, des femmes pour la plupart, se retrouvent à travailler en usine dans des conditions épouvantables. Dans une chaleur étouffante et une odeur de viscères de poissons à soulever le cœur, tous les âges sont présents dans les ateliers d’évidage, de la gamine de 10 ans – employée illégalement – à la vieille dame de 80 ans. Un seul point commun, les horaires de travail : dix-huit heures par jour, soit quatre de plus que la moyenne à cette époque. Pour se donner du courage et lutter contre le sommeil, ces «Penn Sardin» (« têtes de sardines » en breton), sobriquet faisant référence à une coiffe obligatoire portée sur leurs cheveux noués, chantent à l’unisson, se répondant d’une usine à l’autre. « Du matin au soir nettoient les sardines / Et puis les font frire dans de grandes bassines », entend-on dans les hangars. « C'était, pour elles, le meilleur moyen pour tuer le temps », explique Anne-Denes Martin dans son ouvrage Les Ouvrières de la mer : histoires des sardinières du littoral breton (éd. L’Harmattan, 1994). Comment le paisible port de Douarnenez a t-il pu sombrer dans cette misère sociale ?

     

    L’apparition des conserveries a accélérer cette exploitation humaine

    A partir du milieu du XIXème siècle, l’industrialisation des villes côtières de Bretagne attire une population rurale, sans emploi. Une aubaine pour les chefs d’entreprise à la recherche d’une main-d’œuvre bon marché pour une rentabilité maximale. «Elles travaillaient sous les ordres d’un patronat sans pitié qu’on n’imagine même plus aujourd’hui», rapporte Jean-Michel Le Boulanger, auteur de Ports de pêche en crise  : l'exemple de Douarnenez (éd. L’Harmattan, 1998). Et d’ajouter. « Les Penn Sardin étaient des ouvrières bretonnantes parlant peu le français, elles avaient la réputation d’être un peu arriérées et elles étaient femmes de surcroît »

    L’apparition des conserveries va accélérer cette exploitation humaine. En l’espace d’un demi-siècle, de 1830 à 1880, ces usines poussent comme des champignons sur le littoral breton depuis l’invention en 1820, par le Nantais Joseph Colin (1785-1824), d’une méthode de conservation de sardines frites dans des boîtes en fer-blanc. Il installe, en 1824, sa première usine à Nantes, ouvrant la voie à un eldorado industriel qui s’étendra sur tout le sud du Finistère, particulièrement de Douarnenez à Crozon. A la tête de ses usines, les plus grandes fortunes nantaises qui s’étaient enrichies au XVIIIème siècle avec la traite des Noirs, abolie en 1815. Il leur fallait trouver une autre activité lucrative, ce sera la sardine, mise en boîte par 13 500 ouvrières bretonnes travaillant dans les 160 conserveries du littoral. Le tout pour une misère.

     

    Les ouvrières les moins bien payées de France se mettent en grève

    Les Penn Sardin sont rémunérées au « millier de poissons travaillés ». Selon leur rendement, elle sont payées entre 3 à 12 francs par semaine (l’équivalent de 12 à 47 euros aujourd'hui). Les sardinières sont alors réputées pour être les ouvrières les moins bien payées de France. Tout change en 1905. Un vaste mouvement de grève émerge à Douarnenez, mené par une employée, une certaine Eulalie Belbéoch (1850-1926), laquelle n’a pas la langue dans sa poche : elle revendique un paiement à l’heure. Commencé en janvier, le conflit se prolonge jusqu’au 23 août. Elles obtiennent gain de cause et sont payées 0,80 franc de l'heure (3 euros). Victoire !

    Mais ce maigre salaire ne leur permet guère de sortir de la misère. Surtout qu’il n’évoluera plus. Dix-neuf ans après cette première grève, la rémunération reste la même alors qu’un kilo de beurre coûte 15 francs (59 euros).

    « Ces femmes qui élevaient des enfants, ramendaient les filets, travaillaient en usine avec un savoir-faire et une expérience professionnelle reconnus de tous, se trouvaient les plus dominées d’entre les dominés », raconte Anne-Denes Martin. Mais elles ont un atout : leur nombre et leur obstination bien bretonne. En 1924, elles sont environ 2 000 à travailler dans les usines de Douarnenez, devenue, depuis trois ans, la première municipalité communiste de France. Beaucoup sont les filles ou les nièces des grévistes de 1905, et se sont forgées, dans le récit de leurs aînées, un caractère frondeur. Du jour au lendemain, le 21 novembre, ouvrières et apprenties cessent de travailler pour descendre dans la rue et réclamer une hausse de salaire. Pendant six semaines, les Penn Sardin résistent aux pressions des usiniers qui menacent de les renvoyer. Mais elle n’ont qu’une réponse : « Pemp real a vo ! », « Ce sera 1,25 franc [de l’heure] ! » (5 euros).

     

    Retour sur la lutte des Penn Sardin

     C’est la grève ! En novembre 1924, les sardinières, accompagnées de leurs enfants, des pêcheurs et des travailleurs du bâtiment, bloquent la ville. On avait jamais vu ça à Douarnenez. - akg-images

     

    Le succès de la grève assurera celui de Le Flanchec, réélu aux municipales de 1925, avec sur sa liste une femme : Joséphine Pencalet, membre influente du comité de grève des Penn Sardin. Cette dernière participera à cinq conseils municipaux avant que sa candidature ne soit invalidée par le Conseil d’Etat, au mois de décembre. « Après tout, ce n’est qu’une poissonnière», disait-on dans les couloirs de la haute instance politique. Comme si l’odeur de la sardine lui collait encore à la peau. L’économie de la ville entière se retrouve paralysée. Désemparés, les usiniers tentent une ultime action qui causera leur perte. A Paris, ils embauchent des briseurs de grève dont un certain Léon Raynier qui, le 1er janvier 1925, tente d’assassiner Le Flanchec . Touché à la gorge, le maire survit mais la tentative de meurtre déclenche une émeute dans la ville. Les événements sont repris dans la presse nationale qui change de ton et accorde enfin aux Penn Sardin une légitimité dans leur lutte sociale. La France est désormais derrière les ouvrières qui continuent de scander dans les rues du port le « Pemp real a vo ! ». Le patronat cède. Le 6 janvier, le salaire des ouvrières passe à 1 franc (4 euros). « Les usiniers ne sont pas inquiétés. On ne cherche pas à savoir qui a payé et armé les briseurs de grève », constate Anne-Denes Martin.

     

    Article paru dans GEO

     

     

     


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  • 2000 ans d'histoire en 50 dates

     

     En 1900, La Baule est encore une station familiale. © Lux-in-Fine/Leemage

     

     

    Romains, Vikings, Anglais… Tous l'ont convoité, aucun ne l'a soumise. Ce n'est qu'au XVIème siècle que le duché sera rattaché à la France. Mais ces 1500 ans de lutte pour son indépendance ont profondément marqué le caractère et la culture bretonne.

     

    Sous domination romaine

    56 av. J.-C. : l’Armorique (« pays face à la mer ») – actuelle Bretagne – passe sous domination romaine, elle le restera jusqu'au Vème siècle.

    Du IIIème au Vème siècle : des populations venues de l'île de Bretagne (Angleterre et pays de Galles) émigrent en masse vers la péninsule.

    410 : l'Armorique devient autonome et passe sous la domination de chefs de guerre.

    550 : l'historien byzantin Procope de Césarée, donne le nom de « Bretagne » au territoire.

     

    Le temps des rois Francs

    558-635 : les Mérovingiens tentent de soumettre la Bretagne. La principale figure de la résistance contre le pouvoir franc est le roi Waroch II (577-594).

    831: Louis le Pieux, fils de Charlemagne, nomme Nominoë comte de Vannes et concourt ainsi à l'unification du pouvoir.

    851: Erispoë, fils de Nominoë, obtient les comtés de Nantes et de Rennes en échange de sa soumission aux Carolingiens. La Bretagne acquiert le statut de royaume subordonné.

    907-937 : les vikings tentent de coloniser la région et d'imposer leur pouvoir.

    939 : Alain Barbetorte, comte de Cornouaille et de Nantes, reconnu par les Bretons comme chef légitime, remporte une victoire décisive contre les Vikings à la bataille de Trans.

     

    Entre France et Angleterre

    1148 : crise de succession à la mort du duc Conan III. Son fils, Conan IV, se met sous la protection du roi d'Angleterre, Henri II Plantagenêt, et reprend le pouvoir.

    1204 : les troupes du roi Philippe Auguste envahissent la Bretagne. Celle-ci passe sous la tutelle de la France. Les ducs resteront fidèles au royaume des Capétiens jusqu'en 1341.

    1337 : début de la guerre de Cent Ans qui oppose la France à l'Angleterre jusqu'en 1453.

    1341 : nouvelle guerre de succession. Le duc Jean III meurt sans héritiers. Deux candidats s'affrontent : Jean de Montfort – soutenu par le roi d'Angleterre – et Jeanne de Penthièvre, liée au roi de France. Durant vingt-trois ans, la Bretagne devient le principal champ de bataille de la guerre de Cent Ans.

    1365 : le traité de Guérande marque la fin de la guerre de succession. Jean IV, fils de Jean de Montfort, devient duc de Bretagne.

    1373 : Bertrand du Guesclin, au service du roi de France, rallie une partie de la noblesse bretonne et contraint Jean IV à s'exiler en Angleterre.

    1378 : le duché est rattaché à la France.

    1379 : les Bretons se soulèvent et rappellent Jean IV.

    1381 : le second traité de Guérande accorde la neutralité à la Bretagne.

    1449 : après la prise de Fougères par les Anglais, les Bretons s'engagent aux côtés des troupes françaises.

     

    Vers l'union

    1461 : sous Louis XI (1461-1483), une nouvelle période de conflit s'ouvre entre le France et la Bretagne.

    1488 : à la mort du duc François II, sa fille, Anne, âgée de 12 ans, hérite du pouvoir.

    1491 : Anne de Bretagne épouse le roi Charles VIII et lui cède ses droits sur le duché.

    1498 : mort de Charles VIII. Anne épouse son successeur, Louis XII. Le contrat préserve l'indépendance de la Bretagne.

    1515 : avènement de François Ier. Il épouse la duchesse Claude, fille d'Anne de Bretagne.

    1532 : l'édit de Plessis-Macé proclame l'union définitive de la Bretagne et de la France.

     

    Le temps des révoltes

    1534 : parti de Saint-Malo, Jacques Cartier atteint l'embouchure du Saint-Laurent.

    1589 : assassinat d'Henri III et début de la guerre de succession en France. La Bretagne se divise entre catholiques, soutenus par les Espagnols, et huguenots, appuyés par les Anglais.

    1598 : après la signature de l'édit de Nantes, marquant la fin des guerres de religion, le pouvoir royal reprend la main sur la région.

    1666 : le port de Lorient devient le siège de la Compagnie des Indes orientales et prend part au commerce triangulaire.

    1675 : révolte des bonnets rouges ; les paysans se soulèvent contre les taxes fiscales.

    1718 : contre la politique fiscale de la monarchie, les nobles forment une association destinée à défendre les privilèges de la province, l'Association patriotique bretonne.

    1789 : la province est divisée en cinq départements : Côtes-du-Nord, Finistère, Ille-et-Vilaine, Loire-Inférieure et Morbihan.

    1793 : les paysans se soulèvent contre le recrutement militaire de 300 000 hommes à l'échelle nationale décrété par la Convention.

     

    Une identité régionale

    1805 : fondation à Paris de l'Académie celtique.

    1807 : le linguiste Jean-François Le Gonidec publie une grammaire celto-bretonne.

    1824 : Joseph-Pierre Colin crée la première conserverie industrielle à Nantes.

    1844 : début des travaux de la ligne de chemin de fer Paris-Brest. Elle sera achevée en 1865. Il faut désormais 18 heures depuis la capitale pour rejoindre la ville portuaire.

    1861 : ouverture du chantier naval de Saint-Nazaire.

    1884 : Joseph Loth crée une chaire de celtique à l'Université de Rennes.

    1924 : à Douarnenez, principal centre sardinier, les ouvrières des conserveries se révoltent contre les conditions de travail. La grève sera soutenue à l’échelle nationale.

    1927 : fondation du parti autonomiste breton (PAB). Le mouvement ne parvient pas à s’imposer lors des élections législatives.

    1932 : attentat à la bombe, à Rennes, contre une statue représentant l'union de la Bretagne à la France (nuit du 6 au 7 août). L'attentat est revendiqué par la société secrète Gwenn ha Du (Blanc et Noir).

    1940 : l'armée allemande entre à Brest le 19 juin.

    1941: par décret du 30 juin, Nantes et le département de la Loire-Inférieure (aujourd'hui Loire-Atlantique) sont rattachés administrativement à Angers et séparés de la Bretagne.

    1944 : le 18 juin, 3 000 résistants, soutenus par 200 parachutistes français, tiennent en échec les troupes allemandes près du village de Saint-Marcel, dans le Morbihan.

    1951 : la loi Deixonne autorise, entre autres langues, l’enseignement du breton dans le secondaire comme matière facultative.

    1956 : un « plan breton », premier plan d'action régional, est décrété par le gouvernement. Il prévoit l'aménagement des équipements (routes, électrification des campagnes…), l'implantation d'industries et la modernisation de l'agriculture.

    1959 : Alan Stivell enregistre son premier disque de harpe celtique et initie le renouveau de la musique bretonne.

    1966 : création du Front de Libération de la Bretagne (FLB) qui revendique « le droit du peuple breton à rejeter le statut colonial afin de se gouverner lui-même ».

    1967 : dix mille manifestants défilent dans les rues de Redon pour protester contre la PAC (Politique agricole commune) en matière d'élevage bovin et porcin.

    1968 : le gouvernement adopte le Plan routier breton pour désenclaver la péninsule. Mille kilomètres de voies rapides sont créés.

    1972 : première édition de la Fête interceltique des cornemuses de Lorient qui deviendra, en 1979, le Festival interceltique de Lorient.

    1973 : Pierre-Jakez Hélias publie Le Cheval d’orgueil. Ce récit, mêlant autobiographie et ethnologie, sera vendu à plus d’un million d’exemplaires.

    1977 : l'association Diwan ouvre une première école maternelle en breton à Lampaul-Ploudalmézeau, dans le Finistère.

    1978 : naufrage du pétrolier Amoca-Cadiz au large du Finistère, le 16 mars : 360 kilomètres de côtes sont souillés. Il s’agit de la pire marée noire survenue en Europe. La même année, le 25 juin, une aile du château de Versailles est endommagée par l’explosion d’une bombe. L’attentat est revendiqué par le FLB.

    1985 : création du Capes de breton.

     

    Chronologie parue dans le magazine GEO

     

     


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