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Guérisseurs et sorciers en Bretagne

Des histoires savoureuses  racontées dans un livre

 

Guérisseurs et sorciers en Bretagne

Annick Le Douget consacre son dernier livre aux rebouteux, guérisseurs, sorciers, de 1800 à 1950. (© Progrès de Cornouaille, Courrier du Léon.) 

 

Ancienne greffière au tribunal de Quimper (Finistère), Annick Le Douget vient de sortir en autoédition son neuvième livre : Guérisseurs et sorciers bretons au banc des accusés. En puisant dans les archives judiciaires, elle dresse le portrait de la société finistérienne entre 1800 et 1950. Le département est alors sous-médicalisé. La population fait appel aux rebouteux, guérisseurs, sorciers, accoucheuses de campagne, sœurs de la charité… Rencontre.

Le Courrier – Le Progrès : Guérisseurs et sorciers bretons au banc des accusés est votre 9ème livre. Pour chaque ouvrage, vous vous êtes plongée dans les archives judiciaires pour explorer un thème de société : la peine de mort, la traite, les crimes, la violence dans les villages… 

Annick Le Douget : Cela s’explique par mon parcours professionnel : j’étais greffière au tribunal de Quimper de 1983 à 2012 puis aux prud’hommes jusqu’en 2015. Par conséquent, je sais entrer rapidement dans les dossiers, décrypter les documents… J’aime entrer dans l’Histoire par la fenêtre judiciaire. On peut aborder des aspects négligés de l’Histoire, trouver des témoignages de première main et ainsi comprendre les mentalités de l’époque…

Pour votre dernier livre, vous avez choisi la période 1800-1950. Pourquoi ? 

La loi du 19 ventôse an XI (10 mars 1803) réforme l’exercice de la médecine en France. Elle en fait un monopole partagé entre les officiers de santé (formés aux soins les plus simples) et les docteurs en médecine. Du coup, les guérisseurs et rebouteux se retrouvent au banc des accusés. J’ai étudié des affaires jusqu’en 1950. Au-delà, les archives ne sont pas consultables.

Quelles sont les pratiques au XIXème siècle ? 

Le Finistère est un quasi-désert médical. En 1823 par exemple, on compte seulement une centaine de praticiens. Ils sont le plus souvent installés dans les grandes villes. La population n’a donc pas accès à ces professionnels. Le coût des consultations est souvent exorbitant tout comme le coût du transport.

Alors, les Finistériens se tournent vers les guérisseurs, les rebouteux (qui remettent les os en place), matrones, voire les sorciers.

Vous évoquez aussi le recours à la religion ? 

À cette époque, les gens sont souvent convaincus que la maladie est un châtiment de Dieu ou un maléfice. Ils implorent alors des saints. En Basse-Bretagne, un culte était notamment rendu à saint Diboan, le saint qui enlève la douleur, qui « ôte la peine ». Des pouvoirs de guérison étaient prêtés aux pierres, aux fontaines…

Les guérisseurs se trouvent dans toutes les catégories de la population. Ils exercent la plupart du temps une autre profession. Certains sont polyvalents, d’autres spécialisés. C’est le cas de l’uromante de Saint-Ségal. 

Louis Cloarec est qualifié d’uromante ou jugeur d’urines. Quand le patient ne pouvait pas se déplacer, il établissait le diagnostic à partir de ses urines. Il fabriquait le louzou de Saint-Sébastien, du nom de la chapelle à côté de laquelle il habitait. Ce louzou contenait notamment de l’absinthe. Il a été dénoncé en 1853 par un patient.

Louis Cloarec était surnommé Louis Philippe. Il officiait avec un tricorne, revêtait parfois une robe noire. On venait de loin pour le consulter. Il a été condamné à une amende de 15 francs, soit l’équivalent de trois bouteilles de remèdes.

Les guérisseurs et autres rebouteux sont le plus souvent dénoncés par les médecins. Ceux-ci invoquent la concurrence déloyale et la mise en danger des patients. Ils accusent aussi la justice de laxisme. 

Les juges appliquent la loi de 1803 et les suivantes. En cas d’exercice illégal de la médecine, le guérisseur ou rebouteux peut écoper d’une amende. En cas de récidive, il encourt de la prison. Le législateur n’a pas durci ces peines.

En fait, il y a un vrai cercle vicieux. Les médecins disent qu’ils ne peuvent pas s’installer en campagne à cause de la concurrence déloyale des guérisseurs. Et, a contrario, comme il n’y a pas de médecins, la population est contrainte d’aller voir un guérisseur.

La situation va perdurer, malgré la loi de 1803, pendant tout le XIXe siècle.

L’une des affaires les plus emblématiques est celle de Jean Sizorn, le rebouteux de Pont-Quéau. 

Jean Sizorn était meunier à Landrévarzec. Il donnait des consultations à son moulin mais aussi certains jours de la semaine à Quimper et Douarnenez.

Il avait un succès fou. On venait de très loin le consulter. Il est poursuivi en 1951 par l’ordre des médecins. Lors de son procès, des dizaines de personnes viennent témoigner en sa faveur, y compris des notables.

Il y a eu jusqu’à un millier de manifestants devant le palais de justice de Quimper. Sur certaines pancartes, on pouvait lire : « Sizorn le bienfaiteur », « Sizorn acquitté ». Le rebouteux est même porté en triomphe à travers toute la ville, jusqu’à la statue de Laënnec ! Il est finalement condamné à 500 francs d’amende avec sursis.

Vous avez visiblement pris beaucoup de plaisir à traiter ce sujet. 

Mon précédent livre sur l’affaire Baumol était très lourd. Celui-ci m’a permis de découvrir des histoires vraiment savoureuses !

Ce livre permet d’entrer dans l’intimé de nos aïeux, de mesurer leur naïveté et leur dénuement face à la maladie, aux croyances, aux superstitions.

Ce sujet semble intéresser le public. J’ai eu de bons retours. Il est vrai que beaucoup de gens ont soit déjà consulté un magnétiseur ou guérisseur ; soit entendu parler de l’un d’eux.

À la fin du livre, vous évoquez le sujet aujourd’hui. Ces pratiques sont encore très vivaces. 

Les praticiens de l’ombre sont toujours là : ils ont pignon sur rue, un site internet, leur adresse dans les pages jaunes. Certaines médecines non conventionnelles sont désormais reconnues comme l’ostéopathie ou la chiropractie. D’autres sont remboursées par les mutuelles comme la naturopathie. En 2012, la Miviludes (mission interministérielle de lutte contre les dérives sectaires) a recensé 400 pratiques alternatives différentes dont certaines sectaires. Quatre Français sur 10 recourent à des pratiques alternatives.

Quel sera votre prochain sujet ? 

Je commente l’œuvre de Pierre Cavellat, un magistrat peintre qui a réalisé beaucoup de croquis d’audience dans les années 30-60. Ce livre devrait sortir d’ici la fin de l’année.

Infos pratiques : 

Livre disponible dans la plupart des librairies.

https://actu.fr/bretagne 

http://encredebretagne.bzh/livre/histoire/guerisseurs-et-sorciers-bretons-au-banc-des-accuses/ 

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