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Dans la jungle du domaine public
Pas facile de déterminer quand intervient la fin du droit d’auteur sur une création. La preuve avec d’illustres exemples.
Le Boléro de Ravel est l’un des airs classiques les plus connus. C’est aussi l’une des œuvres musicales engrangeant le plus de revenus : elle rapporterait 1,5 millions d’euros par an de droits d’auteur. Cette manne touche pourtant à sa fin, le 2 mai, la partition écrite en 1928 entrera dans le domaine public. Après cette date, les passages à la radio du Boléro et son utilisation dans les publicités ou les films ne rapporteront plus un kopeck aux ayants droit de Maurice Ravel, et il sera possible de rééditer l’œuvre ou la réinterpréter sans leur verser d’argent.
Une règle simple … et de multiples exceptions
Musique, sculpture, livre ou film : pas facile de savoir quand une œuvre tombe dans le domaine public. « La règle de base est simple, explique Lionel Maurel, conservateur de bibliothèque et spécialiste du sujet. Les droits patrimoniaux durent soixante-dix ans, après le 1er janvier qui suit la mort de l’auteur. » Les créations de personnalités décédées en 1945 sont donc entrées dans le domaine public le 1er janvier 2016. C’est le ca des œuvres du verrier René Lalique ou de Mein Kampf, d’Adolf Hitler. Pourquoi, alors, le Boléro n’a-t-il pas perdu son droit en 2008, Ravel étant mort en 1937 ? « Parce que ce principe, qui prévaut dans l’Union européenne depuis 1997, est assorti d’innombrables exceptions au niveau national, précise Lionel Maurel. Nos législateurs ont par exemple considéré que les auteurs n’avaient pu toucher de droits suffisants durant les guerres mondiales, et décider d’ajouter la durée des conflits, de la déclaration de guerre au traité de paix. » Autre cas d’exception française : les droits des créateurs tombés au champ d’honneur sont prorogés de trente ans. Ainsi, Le Petit Prince, d’Antoine de Saint-Exupéry, n’entrera dans le domaine public qu’en 2045. Mais en Belgique, l’œuvre a perdu son copyright soixante-dix ans après la mort de l’auteur. Une divergence de législation entre les pays qui entraîne nombre de batailles juridiques. Gallimard, qui détient les droits d’Albert Camus en France jusqu’en 2031, enrage de voir que, depuis 2011, La Peste est téléchargeable sur des sites Internet hébergés au Canada…
Le cas épineux du Journal d’Anne Frank
Mais le conflit qui a récemment fait le plus de bruit est celui concernant le livre d’Anne Frank. Cette dernière étant morte en 1945, son ouvrage est théoriquement tombé dans le domaine public le 1er janvier 2016. Mais le fonds qui gère les droits de cette œuvre ne l’entend pas ainsi. Selon lui, le père d’Anne Frank, qui a compilé les écrits de sa fille et en a supprimé des passages, est coauteur du Journal. Et comme il est décédé en 1980, le livre ne devrait perdre son copyright qu’en 2051. « Cet exemple est épineux mais d’autres le sont encore plus. C’est souvent le cas des films, qui sont des œuvres de collaboration, souligne Lionel Maurel. La durée de protection s’applique à partir de la mort du dernier collaborateur parmi le réalisateur, le scénariste, l’auteur de la musique… Parvenir à déterminer si un long métrage a perdu son copyright est donc une gageure ! »
Même pour les spécialistes, le domaine public n’est pas si facile à décrypter…
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