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Par atao feal le 18 Juin 2013 à 16:13
La Semaine Religieuse du diocèse de Vannes, en nous annonçant, dans son numéro du 15 avril 1916, la mort au champ d'honneur de M. Eugène Josset, terminait ainsi : « C'est un nom de plus à inscrire au livre d'or de l'enseignement chrétien. » Nous pouvons ajouter : c'est un nom de plus à inscrire au livre d'or du Petit-Séminaire de Ploërmel.
Après quelques mois de leçons prises auprès de son frère, alors vicaire à Lanouée, Eugène Josset vint aux Carmes comme élève de Cinquième.
C'était un enfant un peu timide, mais bon, pieux, qui semblait marqué pour le sacerdoce, Il y aspirait lui-même de tout son cœur, et pendant quelque temps fut au comble de ses vœux.
Mais les devoirs et les obligations du prêtre sont immenses, les responsabilités qu'il encourt sont terribles, effrayantes. A les méditer, certaines âmes timides et craintives en sont très impressionnées : quelques-unes, déconcertées, se jugent incapables de porter un tel fardeau. Eugène Josset fut de celles-là . Il n'osa pas aller jusqu'au bout, et rentra dans le monde. Il lui fallu alors songer à orienter sa vie dans une autre direction. N'ayant pas voulu devenir prêtre par un scrupule excessif sans doute, il résolut de se consacrer à l'instruction chrétienne de l'enfance, et se fit la carrière la plus belle après le ministère sacerdotal, celle d'instituteur chrétien, carrière qui permet de faire le plus de bien, de travailler le plus à la gloire de Dieu en façonnant les âmes des enfants, en formant leurs intelligences aux connaissances humaines et leurs cœurs à la pratique des vertus chrétiennes. Eugène Josset se mit donc à travailler pour avoir son brevet et, aussitôt en règle avec la loi, il fut envoyé comme instituteur adjoint à Carentoir d'abord, puis à Péaule, Dans cette dernière paroisse, il retrouvait comme recteur , M. le chanoine Deblond, qui l'avait reçu chez lui à Lanouée quand il prenait des leçons de latin. Le bonheur de se retrouver fut réciproque, et entre le pasteur et l'instituteur se renouèrent les relations d'intimité de jadis.
Ce qu'Eugène Josset fut comme instituteur, M. le Doyen de Péaule l'a dit en chaire le jour de son service : « Ce fut un vrai maître d'école, instruit, méthodique, clair, sachant proportionner son enseignement à la force de ses élèves, se faire petit avec les petits, élever ses leçons avec les plus avancés. Avec cela beaucoup de dévouement, de la persévérance, de la ténacité même. Son instruction reconnue de tous, sa haute taille, sa forte voix lui donnaient une grande autorité qu'il savait faire aimer, et des succès surprenants surtout dans l'enseignement du catéchisme. »
En 1914, à la mobilisation, Eugène Josset fut appelé comme infirmier, il partit avec enthousiasme. Son patriotisme, un peu exubérant peut-être, lui fit trouver longs les jours qu'il passa à Nantes avant de recevoir une destination. Enfin cette destination vint, et Eugène fut désigné pour faire partie d'un groupe divisionnaire de brancardiers.
Avide de dévouement, il recherchait toutes les occasions de se dépenser et de porter secours aux blessés. Le 17 janvier 1916, il écrivait à un ami : « Je quitte l'Artois pour sauter dans la Meuse. Dans quelques jours notre formation sera bien près des Boches. Cette existence me plaît, et ce sera pour moi une nouvelle occasion de me dévouer. » Et à un autre : « Cette vie périlleuse me plaît, malgré ses dures fatigues, car je sais que j'y fais bien. Ah ! Qu'à certains moments je voudrais être prêtre pour mieux consoler et soulager nos pauvres blessés. » De fait, il pensait et parlait comme un prêtre, si bien qu'on le croyait tel : « N'aie pas peur, disait-il un jour à un séminariste pris d'épouvante, le bon Dieu sait bien où faire tomber les obus, tu n'as qu'à t'en remettre à sa garde. » Dans la lettre citée plus haut il ajoutait : « Je ne sais ce que la Providence me réserve cette fois, mais je suis bien résigné à sa sainte volonté, que Dieu prenne ma vie, s'il le faut, pour le salut de la France ! Priez toujours bien pour moi, afin que je puisse remplir mon devoir. »
Plusieurs fois Eugène Josset vit la mort de près, elle ne l'effraya pas, parce qu'il était prêt à la recevoir, elle ne l'empêcha pas surtout d'accomplir nombre d'actions de courage : « Sur le champ de bataille de l'Artois, on l'avait vu braver la mitraille, et encourager son équipe effrayée. Sous Verdun, à son grand regret, il fut surtout employé comme ravitailleur, mais il se rendait compte que ce métier avait aussi ses dangers. La veille de sa mort, en chargeant du bois, il faisait remarquer à ses compagnons que la mort planait sur le bois où ils se trouvaient comme dans la tranchée, puisque deux jours auparavant les pièces ennemies avaient battu cet endroit.
Il ne se trompait pas, la mort planait partout dans ces régions dévastées, puisque c'est à six kilomètres de Verdun, à douze du front qu'elle est venue le frapper pendant qu'il était occupé à relever un auto-camion.
Livre d'Or du Petit-Séminaire de Ploërmel
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Par atao feal le 18 Juin 2013 à 16:15
Mais laissons la parole à l'un de ses compagnons qui s'est chargé d'apprendre la triste nouvelle au recteur de Quelneuc. La lettre est du 29 mars 1916.
« Il est deux heures et demie de l'après-midi. A une heure environ, Eugène était appelé chez le bon Dieu.
« Hier matin il assistait à la sainte Messe selon son habitude.Il a communié également. Ce matin vraisemblablement, l'heure du ravitaillement ne l'aura pas empêché d'en faire autant.
« A neuf heures du matin, il quittait mon petit bureau, laissant sur la table, ouvert à la page de la Chananéenne la « Vie de Jésus-Christ » de Fouard. J'ai encore toutes ^présentes à l'oreille les réflexions édifiantes que lui suggérait sa pieuse lecture.
« Au milieu du bourg de Duguy, un auto-camion avait dérapé à la culée d'un pont, et un attroupement s'était formé autour de l'auto qu'on essayait de redresser. Le chariot d'Eugène dut stationner.
« A ce moment planait un taube. Il remarqua l'attroupement et y jeta une bombe... Je me trouvais exactement à deux cents mètres de l'endroit, mais séparé par une rangée de maisons. Je m'élançai vers le lieu de l'accident. Des cadavres, des moribonds, le plus lamentable spectacle que l'on puisse imaginer. A côté de deux chevaux éventrés, un homme, la face contre terre, dans les spasmes de l'agonie. C'était Eugène. Je ne le reconnu pas, j'ignorais qu'il fut là, Je lui donnai l'absolution sans le reconnaître. Peu après l'aumônier du groupe. Penché sur Eugène, il l'interrogea, mais en vain. Cependant il vivait toujours, aussi l'aumônier lui donna une nouvelle absolution et l'Extrême-Onction.
« Quelques instants après son corps arriva à l'ambulance, et on put examiner ses blessures. Il avait la carotide droite coupée, et une blessure grave à l'aisselle droite. »
Les funérailles d'Eugène Josset eurent lieu le lendemain de sa mort, elle furent célébrées avec toute la solennité possible. Un chef prit la parole, et, dans un langage plein de foi, fit ressortir les qualités éminentes du défunt. Le commandant du groupe de brancardiers fit venir une couronne, en attendant que les circonstances lui permettent de faire célébrer un service pour lui.
Certes, on peut rêver une mort plus belle, sur les champs de bataille, face à l'ennemi, mais aux yeux du Maître divin qui considère moins le don que la manière de donner, cette mort en service commandé peut-être aussi précieuse, quand elle est préparée et patiemment acceptée.
Livre d'Or du Petit-Séminaire de Ploërmel
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Par atao feal le 18 Juin 2013 à 16:18
Professeur de la Maîtrise de Sainte-Anne d'Auray
M. l'abbé François Châtel naquit à Mohon (Morbihan) le 6 août 1888. Il fit presque toutes ses études secondaires au Petit-Séminaire Notre-Dame des Carmes, à Ploërmel.Durant le cours de ses études, il fut toujours placé parmi les premiers élèves de sa classe. Il montra dès le début cette intelligence claire et active, qui alla en se développant. Il fournissait d'ailleurs un travail très consciencieux.
Cependant, quand on voyait pour la première fois ce petit campagnard, à l'air timide et souffreteux, la tête un peu penchée sur l'épaule, on ne devinait pas qu'il était l'un des meilleurs élève de sa classe. Même quand il était pris en leçon, il récitait si lentement qu'on était tenté de dire : « il n'a pas ouvert un livre à l'étude. » Mais on était détrompé au bout de quelques minutes.
Aussi, à la fin des années scolaires, il emportait toujours des prix : c'était la récompense de son travail.
Une autre récompense plus solennelle lui était réservée lors de son examen du baccalauréat. Je me souviendrai toujours ce matin du mois de juillet 1906. Nous achevions notre rhétorique, nous avions passé, quelques jours auparavant, l'écrit de la première partie du baccalauréat, et nous attendions le résultat. Enfin, ce matin-là, à huit heures, notre professeur, Monsieur le chanoine Le Floch, actuellement supérieur du collège Saint-Armel, arriva en classe, le journal en main. Nous allions donc connaître le nombre des admissibles. Il n'y en avait que quatre sur une douzaine de candidats que nous étions : François Châtel était l'un d'eux.
L'année scolaire qui commença en octobre suivant ne se passa pas toute entière à Ploërmel. (Hélas ! Ces temps étaient bien tristes !) A la fin du mois de décembre 1906, en effet, nous dûmes évacuer les bâtiments du petit-Séminaire par suite de la loi de Séparation (1). Heureusement le collège Saint-François-Xavier, de Vannes, nous ouvrit toutes grandes ses portes, et c'est là que François Châtel, alors élève de philosophie, acheva ses études secondaires.
Il prit la soutane au mois d'octobre 1907, à l'Institut Saint-Anne, à Vannes, sur la route de Conleau, et, dans cette maison, passa la première année de son Grand-Séminaire, couronnée par la réception de la tonsure cléricale.
Il passa la seconde à Kergonan, près de Plouharnel : Cette année fut particulièrement pénible pour l'abbé Châtel ; il fut en effet sérieusement malade et dut interrompre quelque temps ses études. Cette maladie le fit exempter du service militaire, mais elle le mit en retard pour ses ordinations, et voilà pourquoi il resta au Grand-Séminaire trois mois de plus que les abbés de son cours.
Il sortit diacre du Grand-Séminaire en décembre 1911, et fut quelques mois professeur au collège Saint-Armel, à Ploërmel.
A Pâques 1912, il arriva à la Maîtrise de Saint-Anne d'Auray, où il resta jusqu'en janvier 1915, époque où il partit pour la caserne. Il avait été ordonné prêtre en 1912.
Est-il possible de caractériser en deux mots ces années que M. Châtel passa dans le professorat ? Il faudrait dire que sa santé s'était affaiblie encore, sans doute, à cause de la vie sédentaire qu'il était obligé de mener. L'estomac ne marchait pas : les nerfs et l'humeur se prenait parfois. Mais il continuait à manifester une grande activité intellectuelle ; il aurait voulu voir tous ses élèves s'appliquer au travail comme lui-même.
L'autorité diocésaine était décidée à le nommer vicaire à la fin de l'année 1914 : la guerre vint déranger tous les plans. M. Châtel rentra donc à sainte-Anne en octobre 1914, et, le 15 décembre suivant, il passa son conseil de révision à Ploërmel. Sa santé était-elle devenue meilleure à ce moment ? En tout cas, il fut reconnu bon pour le service armé.
A partir de ce jour, M. Châtel se prépara à entrer à la caserne. La fin du mois de décembre, et le mois de janvier furent une longue attente : non pas qu'il eût hâte d'être soldat, mais on devinait un homme presque uniquement préoccupé de son avenir, qu'il voyait plutôt en noir. Il semblait pressentir ce qui l'attendait.
Il suivait d'ailleurs la guerre de très près, et ne se laissait pas impressionner, quand on lui disait qu'elle serait peut-être fini avant son arrivée au front.
Son ordre d'appel sous les drapeaux lui fut remis à la fin du mois de janvier 1915. Après quelques mois de préparation, qu'il passa en partie à Malestroit, il partit pour le front. Il n'en ai jamais revenu.
Pendant les mois de juillet, août et septembre 1915, il a envoyé à l'auteur de ces lignes un assez grand nombre de lettres dont la plupart sont bien intéressantes à lire. Il y montre surtout un grand esprit d'observation. Et que de choses à observer et à décrire à la guerre ! Son esprit très actif et très clair y trouve un aliment inépuisable. De plus, il ne se contente pas de décrire le monde extérieur si varié, si grandiose, au milieu duquel il vit, souvent à quelques mètres de l'ennemi. Il analyse aussi ses pensées pour les communiquer à un ami intime.
La vie au grand air, les exercices physiques lui avaient fait beaucoup de bien, et il se portait mieux que les années précédentes. Il m'écrivait à ce sujet le 13 septembre 1915 : « Malgré les fatigues, les nuits passées presque sans sommeil, sans autre lit que la terre froide des tranchées, je me porte très bien. Il semble que plus on fait de misère à son corps, mieux il se porte. A la guerre un homme est plus dur à la misère qu'un cheval. »
Cette santé florissante explique, en partie du moins, les sentiments que M. Châtel manifeste. A côté de quelques phrases plutôt tristes, où il montre qu'il continue à avoir un certain pressentiment de sa mort prochaine, la plupart de ses lettres respirent un calme et une force impressionnante. Il puisait son courage dans son cœur de prêtre, et acceptait coûte que coûte son devoir, tout son devoir avec une grande résignation.
La dernière lettre qu'il m'ait écrite est du 23 septembre 1915, deux jours avant l'attaque de Champagne. Elle débute ainsi : « Voici la dernière fois que je t'écris, du moins avant le jour du grand assaut. Quand tu recevras cette lettre, je serai en pleine bataille, à moins que déjà une balle ne m'ait étendu mort au fond d'une tranchée, ou qu'un obus ne soit venu me broyer... Ma compagnie forme avec la quatrième la première vague d'assaut. A nous l'honneur de foncer les premiers sur les boches ».
Cette lettre se terminait par cette phrase qui m'émeut profondément chaque fois que je la relis : « Et maintenant, je te dis : au revoir ! Sur cette terre, je l'espère, ou pour le moins, dans le ciel ! »
M. Châtel est porté disparu depuis cette attaque. Nous ne pouvons actuellement nous faire aucune illusion sur sa mort.
C'est donc fini pour cette vie ; cher ami, c'est au ciel que nous nous retrouverons.
M. François Châtel est déclaré : Mort pour la France, tué à l’ennemi, le 25 septembre 1915 à Le Mesnil-lès-Hurlus (Marne)
(1) La loi de séparation des Églises et de l'État est une loi adoptée le 9 décembre 1905 à l'initiative du député socialiste Aristide Briand, qui prend parti en faveur d’une laïcité sans excès. Elle est avant tout un acte fondateur dans l'affrontement violent qui a opposé deux conceptions sur la place des Églises dans la société française pendant presque vingt-cinq ans.
Elle remplace le régime du Concordat de 1801, qui est toujours en vigueur en Alsace-Moselle pour des raisons historiques (les élus alsaciens en faisaient une des trois conditions d'acceptation de leur rattachement à la France en 1919, sans quoi ils demandaient un référendum, que la France ne pouvait prendre le risque de perdre après une guerre si meurtrière).
Elle ne trouva son équilibre qu'en 1924, avec l'autorisation des associations diocésaines, qui permit de régulariser la situation du culte catholique.
Livre d'Or du Petit-Séminaire de Ploërmel
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